Pilote du groupe : Quentin Erades
Un constat d’urgence
Le Laboratoire de l’Egalité a déjà mené une décennie de recherches sur les inégalités professionnelles, et a élaboré de nombreux plans d’actions pour les diminuer dans tous les secteurs. Ce travail serait incomplet sans se pencher sur le moment stratégique qu’est l’insertion professionnelle. En effet, des prémices de l’orientation à l’entrée dans le monde professionnel, le processus d’insertion voit les premières concrétisations des inégalités professionnelles, qui préfigurent leur ancrage futur dans la vie des individus. Ainsi, assurer une insertion moins dictée par les biais genrés permettrait sur le long terme une diminution mécanique des inégalités professionnelles. Il s’agit donc d’un moment clé pour l’accès des femmes à l’autonomie et à l’indépendance.
Aujourd’hui, seulement 17% des métiers sont mixtes en France, et 70% des femmes sont concentrées dans les 24 métiers dits « féminins » . Souvent, ces métiers ne sont pas les plus socialement valorisés, ni les mieux financièrement rétribués. Une très grande majorité des métiers sont donc perçus au prisme de stéréotypes genrés qui entravent l’égalité professionnelle.
Au-delà de l’orientation, les conditions d’emploi concrètes sont moins favorables aux femmes. elles représentent ainsi 80% des emplois à temps partiel. Elles perçoivent aussi des salaires inférieurs : les hommes gagnent en moyenne une rémunération supérieure de de 28,5% à celle des femmes. Cette différence est en partie dûe à la différence de temps de travail que nous venons de mentionner, mais également à la ségrégation professionnelle, les femmes ayant plus de mal à atteindre les postes les mieux rémunérés. Cependant, même à poste égal et en équivalent temps plein, la différence de salaire demeure de 5,3% au profit des hommes. Cet état de fait est d’autant plus alarmant que les femmes sont davantage diplômées : 51% des femmes âgées de 25 à 34 ans sont diplômées de l’enseignement supérieur (contre 42,5% des hommes).
De plus, les jeunes femmes sont également très souvent confrontées à des comportements inappropriés, qui peuvent aller jusqu’à du harcèlement à caractère sexiste et/ou sexuel. De nombreux témoignages nous sont parvenus à ce sujet lors de nos recherches.
« Lors de mon tout premier stage, mon chef m’appelait chérie »
« Mon amie a échangé sur LinkedIn avec un homme bien placé dans un organisme financier de premier ordre pour y obtenir un poste. Elle a compris qu’il la draguait lourdement, elle a dû abandonner parce qu’elle ne voulait pas qu’on puisse penser qu’elle avait obtenu le job comme ça. »
« Je suis dans la recherche académique. En tant qu’homme, quand un.e prof s’intéresse à mon travail, me complimente ou m’invite à parler de mes recherches autour d’un café, j’ai ni le sentiment d’imposture ni la peur qu’on me parle pour me draguer/profiter de moi que peuvent avoir des collègues femmes dans ces situations. »
Ces témoignages partagés par des jeunes en insertion, loin d’être anecdotiques, sont très révélateurs du type d’obstacles auxquels les jeunes femmes peuvent être confrontées. 8 femmes sur 10 estiment que le sexisme au travail est une réalité : il est aisé de se figurer que des femmes jeunes puissent être d’autant plus vulnérables face à ce type de phénomène.
Ainsi, les jeunes femmes sont plus exposées aux discriminations que leurs homologues masculins, et doivent composer, tout au long de leur insertion professionnelle, avec des biais et des stéréotypes sexistes qui influencent leur orientation et les poussent vers une situation d’emploi moins favorable que les hommes.
La volonté d’agir
En 2020, le Laboratoire de l’Egalité a lancé son programme de lutte contre les biais sexistes dans l’insertion professionnelle des jeunes. L’Institut de l’engagement, voué à ouvrir des portes aux jeunes se heurtant à des barrières liées à leurs caractéristiques sociales, s’est fait partenaire de la démarche. En 2021, ce projet a reçu le soutien du Ministère chargé de l’Égalité entre les Femmes et les Hommes. Nous avons réalisé des recherches approfondies, nous permettant d’atteindre une compréhension fine du phénomène.
Nous avons lancé notre programme d’ateliers. Celui-ci a pour vocation d’outiller les jeunes face à certains freins qui entravent leur insertion professionnelle, tels que les stéréotypes, le manque de confiance en soi, l’auto-censure, le sexisme, les stéréotypes d’orientation professionnelle, les discriminations à l’embauche, les barrières familiales. In fine, cela doit permettre de cheminer vers plus d’égalité professionnelle et de mixité dans tous les métiers. Nous entretenons, dans le cadre de ce projet, un lien avec des jeunes pour développer une compréhension des préoccupations des bénéficiaires et produire des solutions au plus proche des réalités de terrain. Nous travaillons également à la mobilisation d’expertises qui nous permettront d’affiner notre pédagogie, pour construire une méthode d’ateliers reproductibles. A ce jour, nous avons réalisé quatre ateliers exploratoires et rassemblé de nombreux témoignages. Nous souhaitons étendre et pérenniser ce projet, en construisant et animant des ateliers lors d’évènements organisés pour les jeunes, dans des lieux qui les rassemblent. Ce travail permettra ensuite de créer des outils (éléments pédagogiques, présentations, vidéos…) dont différentes parties prenantes s’approprieront : des collèges, des lycées ou des centres sociaux notamment.
En septembre 2022, le Pacte pour l’Egalité de genre dans l’insertion professionnelle des jeunes a été publié sur tous nos réseaux. En octobre, à l’occasion de la Semaine de l’Entreprise Responsable et Inclusive, le groupe de travail a pu donner une conférence sur les enjeux de l’insertion professionnelle des jeunes femmes dépourvue de biais sexistes. En décembre, il s’est associé à La Cravate Solidaire pour un webinaire sur l’état des lieux des discriminations à l’embauche chez les jeunes et les propositions d’actions pour lutter contre celles- ci. Ce webinaire illustre une volonté du Laboratoire de l’Égalité de partager son expertise au plus grand nombre, notamment aux jeunes, premier.e.s concerné.e.s par le sujet, ainsi qu’aux entreprises et aux institutions, actrices des processus d’insertion.
En mars 2023, le groupe s’est rendu à la Faculté de Sciences Humaines et Sociales – Sorbonne (Université paris Descartes) pour rencontrer des étudiant.es de L2. Il a échangé avec elles et eux sur l’#égalitedegenre dans l’insertion professionnelle des jeunes. Ce fut l’occasion d’écouter leurs vécus et expériences personnelles tout en leur présentant notre pacte. En mai 2023, le groupe de travail est intervenu au lycée Rosa Parks de Montgeron auprès de 10 élèves volontaires de seconde dans le cadre de la co-création d’un jeu éducatif portant sur les inégalités femmes/hommes dans le monde professionnel. Ce jeu type « jeu de l’oie » aura pour but de faire découvrir différents métiers ainsi que les biais sexistes qui subsistent dans le monde du travail.
Votre soutien nous permettra donc de poursuivre et amplifier la dynamique engagée, en vue de la sensibilisation des parties prenantes ainsi que la création d’outils stratégiques dans la lutte contre les inégalités entre les femmes et les hommes face à l’orientation professionnelle.