CONFINEMENT : LES HÉROÏNES D’AUJOURD’HUI SERONT-ELLES TOUJOURS CELLES DE DEMAIN ?
Tribune à retrouver sur le site de Libération.fr
La crise sanitaire due au coronavirus a remis l’humain au centre de la vie sociale et économique. La situation des malades, des sénior.es et des enfants qui doivent être soignés, aidés, nourris, accompagnés, éduqués est plus que préoccupante. Dans la très grande majorité des cas, ces attentions sont dispensées par des femmes, qu’il s’agisse de soins, d’enseignement, de services, d’accompagnement, d’accueil, de propreté… dans le cadre de leur profession ou à la maison, comme elles le font en temps normal. Jusqu’alors invisibles, elles sont devenues en quelques jours les héroïnes de la vie quotidienne, contribuant directement à la survie des uns et à la résilience des autres.
Le travail accompli dans les hôpitaux, dans la grande distribution est désormais mis sur le devant de la scène. Pourtant, alors que les femmes sont en première ligne dans les secteurs essentiels au bon fonctionnement de la société, elles sont sous-représentées dans les instances chargées de la gestion de la crise et leur parole d’experte est rarissime dans les médias. Ces derniers jours ont également mis en lumière et exacerbé des réalités dramatiques que vivent beaucoup de femmes au quotidien : les violences conjugales ont augmenté de 30%[1]. Le décalage de traitement immense qu’il y a entre ces situations doit permettre une prise de conscience indispensable de la réduction des inégalités entre les femmes et les hommes.
La lutte contre le coronavirus expose les femmes à une plus grande précarité sur le marché du travail. Les métiers des soins aux personnes dans lesquels elles sont majoritaires – elles représentent 88% des infirmièr.es[2], 90% des aides soignant.e.s[3], 90% du personnel des EHPAD et 97% des aides à domicile – les exposent tous les jours à la maladie dans des conditions de travail souvent dégradées. Le manque de matériel et de personnel accentue chez elles les risques psychosociaux tels que les troubles musculo-squelettiques, les maladies psychosomatiques, la dépression qui sont fréquents. Dans les supermarchés les femmes sont également particulièrement exposées puisqu’elles représentent 90% des caissier.e.s.[4] et assurent ainsi à chacun.e de pouvoir se ravitailler à tout heure de la journée. Ces professions dites « féminines » cumulent pénibilité et dévalorisation sociale. Ils exigent des gestes répétitifs : la position debout de longues heures durant, le port de charges lourdes que ce soit des patients ou des denrées, des horaires souvent décalés, une importante charge mentale et émotionnelle en lien avec la responsabilité des souffrances et de la vie d’autrui, etc… Mais ces métiers sont en outre faiblement rémunérés avec des salaires inférieurs en moyenne de 19% aux métiers dits « masculins »[5] (qui se concentrent dans les secteurs du bâtiment, de l’ingénierie, de l’informatique, etc.).
Si dans le milieu professionnel la situation des femmes s’est fortement détériorée, il en va de même dans les foyers. C’est parce que nous considérons que les femmes ont des capacités « naturelles » pour prendre soin des autres qu’elles assurent en grande majorité le suivi scolaire à la maison, les tâches ménagères à hauteur de 80%, le lien entre les générations et supportent de la charge mentale et émotionnelle de la famille. Le confinement laissait espérer une plus juste répartition des rôles dans les couples[6]. Or l’augmentation des disputes au sujet du ménage – 49 % des ménages se disputent plus souvent qu’avant sur le sujet[7] – et l’augmentation des violences conjugales révèlent la permanence et même l’aggravation des fortes inégalités entre les femmes et les hommes avec des conséquences trop souvent dramatiques. Marlène Schiappa, dans un article récent, redoute aujourd’hui un « épuisement silencieux » des femmes puisque non seulement 58 % des femmes en font plus que leur conjoint, mais 54 % des femmes consacrent plus de deux heures par jour aux tâches domestiques ou éducatives, contre seulement 35 % des hommes[8]. S’ajoute à cela la dépendance des proches âgés et/ou malades qui est une affaire de femmes puisqu’elles représentent près des deux tiers des aidant.e.s[9]. Avec la pandémie les besoins des personnes dépendant.e.s s’accroissent et révèlent plus que jamais l’utilité sociale que revêt ce rôle encore trop mal reconnu.
La situation des femmes vivent seules n’est pas davantage enviable. Rappelons que les femmes ont la charge de 85% des familles monoparentales dont une sur trois vit en dessous du seuil de pauvreté[10]. Leur précarité impacte directement la vie de leurs enfants. Avec l’irruption du chômage et la fermeture des cantines scolaires qui assurent à ces enfants de vrais repas, la nourriture vient parfois à manquer malgré les efforts de nombreuses mères qui jonglent entre rationnement et banques alimentaires. Le problème de la conciliation d’un emploi avec de lourdes responsabilités parentales et le non versement des pensions alimentaires est de plus en plus crucial.
Le confinement accentue par ailleurs la précarité des femmes sur bien d’autres sujets majeurs et notamment l’accès à l’IVG. En temps normal il peut être difficile d’y avoir accès selon les régions et les services d’accueil, par manque de moyens ou de volonté. Aujourd’hui l’insuffisance de médecins, la limitation des déplacements et les pressions familiales aggravent la situation avec des répercussions importantes sur la santé des femmes.
La crise sanitaire que nous traversons révèle donc le rôle paradoxal des femmes dans la société. Elles sont tout à la fois des héroïnes mais vivent dans une société inégalitaire allant jusqu’à les priver de droits fondamentaux (de vivre en sécurité pour ne citer qu’un exemple).
Dans ce contexte, Le Laboratoire de l’égalité qui est investi pour l’égalité professionnelle et dénonce la précarité des femmes, appelle tou.tes les responsables et citoyen.ne.s à apporter à toutes celles qui ont contribué à la lutte contre la pandémie la reconnaissance qu’elles méritent. Au-delà de cet impératif citoyen de court terme, l’ensemble des forces individuelles et collectives du pays doivent se contraindre à une obligation de résultats en matière de revalorisation des métiers, d’équité des revenus, de partage des tâches domestiques et familiales, de résorption des discriminations et de répression des violences dont elles sont victimes. Les héroïnes d’aujourd’hui doivent le rester demain avec la juste place qui leur revient.
Texte rédigé par Lucile Peytavin, membre du Comité d’orientation du Laboratoire de l’Egalité
Photo de Henry Romero. Reuters
[1] Le Monde, « Hausse des violences conjugales pendant le confinement », 30 mars 2020.
[2] Drees, « La profession d’infirmière : situation démographique et trajectoires professionnelles », 2015.
[3] Drees, « Aides-soignants : de moins en moins de candidats à l’entrée en formation et une baisse du nombre d’inscrits », 2019.
[4] Philippe Bertrand, « Pourquoi les caissières vont complètement disparaître », Les Echos, 5 dec. 2019.
[5] Dares, « Les inégalités professionnelles entre femmes et hommes », 2018.
[6] Camille Froidevaux-Metterie, « Féminisme et confinement, du pire vers le meilleur ? », Libération, 24/03/20 ; Lucille Quillet, « Le confinement peut enfin nous mener vers l’égalité entre les femmes et les hommes », Huffpost, 22/03/20
[7] Ifop, « Etude : le quotidien des français à l’heure du confinement », 22 et 23 mars 2020.
[8] Le Point, « Marlène Schiappa : « Les femmes et les hommes ne vivent pas le même confinement ! », 15/04/20.
[9] Maisonnasse F., « Égalité entre les femmes et les hommes : le cas des aidants familiaux », Regards, 2016/2 (N° 50), p. 99-107.
[10] Secrétariat d’Etat chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, « Vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes » – l’Essentiel, Édition 2017.